Beaucoup de bruit pour rien
Ce billet aurait pu
s'intituler Nation québécoise (suite et
fin).
Depuis ce soir, à raison de 266 voix contre 16 (dont 15 chez les libéraux), le
Québec forme officiellement une «nation au sein d'un Canada uni» (Canoë). Tous les membres du Bloc Québécois, du Parti
Conservateur (sous l'ordre de leur chef) et du Nouveau Parti Démocrate ont
appuyés la motion de Stephen Harper. Le seizième à avoir voté contre est le
député indépendant Garth Turner.
Il s'agit à mon avis de
beaucoup de bruit pour rien. Demain matin, dès le retour en Chambre des
députés, la situation du Québec à l'intérieur du «Canada uni» n'aura en rien
changé, n'en déplaise à Gilles Duceppe. On aura beau dire que c'est un «moment
historique» (S. Harper), un «grand jour pour le Canada» (M. Igniatieff) et
autre «la reconnaissance de la nation québécoise est un gain [...]» (G.
Duceppe), ce dernier a tord de croire que ce gain «servira de tremplin aux
demandes du Québec.»
D'abord, cette
reconnaissance n'a toujours aucune portée juridique. Le Bloc n'aura rien de
concret pour justifier davantage ses requêtes. Même que le fait d'avoir appuyé
la motion de Stephen Harper, telle qu'elle est, sans portée juridique, pourrait
jouer un vilain tord au Bloc dans les prochains mois. En effet, les députés
fédéraux pourraient désormais trouver plus futiles et incohérents les demandes
du Bloc. Comment le Bloc pourra-t-il se défendre lorsqu'on sait qu'il a
sciemment approuvé — par extension, voulu — une motion n'ayant aucune portée
juridique. Les fédéralistes pourraient aussi rappeler au Bloc qu'il a approuvé
— par extension, voulu — une motion qui inclut explicitement le Québec au sein
du Canada, donc qui place le Québec sous le Canada. La motion dit: «une
nation au sein d'un Canada uni», et non «une nation présentement au sein
d'un Canada uni», comme l'interprète Gilles Duceppe.
Bien sûr, les fédéralistes
ne pourront pas non plus faire appel à la «justice» pour freiner les ambitions
souverainistes du Bloc et du Parti Québécois. Ceci peut être vu comme un
avantage pour le Québec, mais seulement si on limite notre vision à la motion
adoptée. Si on adopte une vision d'ensemble, on se rend compte qu'il ne s'agit
ni d'un avantage ni d'un inconvénient, ni pour le Québec ni pour le Canada.
Demain, Gilles Duceppe
continuera à défendre les idéologies québécoises, mais il aura peut-être
davantage l'air d'un chien qui hurle sans qu'on l'écoute qu'un politicien à qui
on prête soudainement plus d'attention. En peu de temps, la «menace»
souverainiste remontera à la surface à la Chambre des communes sans que
personne n'y puisse quoi que ce soit. À court terme, on s'apercevra que le discours
de tous et chacun, et surtout la position du Québec à l'intérieur du Canada,
n'auront strictement pas changés. Fluctués un peu à la fin de novembre, certes,
mais revenus exactement à ce qu'ils étaient avant.
Le Québec ne se
transformera pas en réserve, il n'en aura pas non plus les mêmes
prérogatives. Les pouvoirs qui étaient l'apanage du fédéral demeureront son
apanage, à moins qu'ils ne soient cédés de façon équitable entre les provinces.
Le Québec restera une province, rien de plus, rien de moins. Le Canada restera
un pays fragilisé et divisé. D'un point de vue électoral, les conservateurs
iront peut-être chercher quelques votes aux mains du Bloc (et des libéraux?),
mais en perdront également aux mains du Bloc (et des libéraux?).
Cette motion sur la nation
québécoise aura fait coulé beaucoup d'encre, dont sur ce blogue, et continuera
certainement à en faire couler durant les prochains jours, peut-être les
prochaines semaines. Dans deux ans, il n'en restera probablement de traces que
dans les livres sur l'histoire du Canada distribué dans les écoles secondaires
du pays. Les fédéralistes y verront de nouveau la preuve que les Québécois sont
bornés pour ne pas avoir donné suite à cette motion, alors que les
souverainistes y verront de nouveau la preuve que le Canada a toujours cru que
les Québécois avaient une poignée dans le dos. Cette motion restera à jamais un
simple jeu d'interprétations, sans aucune officialisation.
Fin de l'histoire.